Position de la SCMO relativement au rapport spécial du GIEC sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C

La Société canadienne de météorologie et d’océanographie (SCMO) est la société nationale vouée à l’avancement des sciences atmosphériques, océaniques et environnementales connexes au Canada. La SCMO compte plus de 800 membres, travaillant au sein de centres de recherche majeurs, d’universités, d’entreprises privées et d’organismes gouvernementaux canadiens. Elle reste la mieux placée pour fournir aux Canadiens des avis d’experts en matière de sciences des changements climatiques. Bon nombre de ses membres jouissent d’une reconnaissance internationale dans leur domaine d’expertise scientifique et participent activement aux évaluations approfondies établissant l’état actuel des connaissances, en ce qui concerne cet enjeu complexe.

Cette prise de position vise à résumer et à refléter le point de vue de la SCMO relativement au rapport spécial du GIEC intitulé « Réchauffement planétaire de 1,5 °C », et approuvé par le GIEC en octobre 2018. Le rapport a été rédigé suivant l’invitation qu’a formulée la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) dans sa décision d’adopter l’Accord de Paris en décembre 2015. Dans le cadre de cet accord, 195 pays s’engagent « [à contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et [à poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Bien que plusieurs études aient exploré les impacts évités et les répercussions de la réduction des émissions relativement à la limite du réchauffement à 2 °C, peu de résultats concernaient la limite de 1,5 °C.

Le rapport spécial évalue la littérature scientifique, technique et socio-économique existante sur le réchauffement climatique de 1,5 °C. Il présente des conclusions sur l’état actuel du système climatique par rapport à la limite de 1,5 °C, les impacts qui seraient évités en limitant le réchauffement à cette valeur plutôt qu’à 2 °C, les scénarios d’émission de gaz à effet de serre et la transition des systèmes qui s’avéreraient nécessaires au maintien sous 1,5 °C du réchauffement, ainsi que l’incidence sur le développement durable et l’élimination de la pauvreté.

Où en sommes-nous?

Les activités humaines auraient causé un réchauffement planétaire d’environ 1,0 °C par rapport aux niveaux préindustriels en 2017. Ce qui signifie que le réchauffement planétaire anthropique, que génèrent les gaz à effet de serre et d’autres formes de pollution, nous place à 0,5 °C de la limite de 1,5 °C. Au taux actuel, le réchauffement de la planète atteindra probablement 1,5 °C entre 2030 et 2052, et vraisemblablement autour de 2040. Le réchauffement planétaire actuel persistera durant des siècles et des millénaires. Il continuera d’influer à long terme sur le système climatique, y compris la hausse du niveau de la mer. Toutefois, il reste peu probable que les émissions passées entraînent à elles seules un réchauffement planétaire de 1,5 °C.

Le réchauffement observé n’est pas réparti uniformément. Notamment, dans les régions terrestres, comme au Canada, où le réchauffement s’avère plus important que la moyenne mondiale, y compris deux à trois fois plus élevé dans l’Arctique.

Pourquoi s’en tenir à la limite de réchauffement planétaire de 1,5 °C?

Le réchauffement d’origine anthropique a déjà généré des changements détectables dans le système climatique, et touché les écosystèmes ainsi que les systèmes et le bien-être humains. Bon nombre de ces répercussions et des risques connexes seront exacerbés une fois atteinte la limite de 1,5 °C. Les changements climatiques prévus à la suite d’une hausse de 1,5 °C comprennent une augmentation des extrêmes chauds dans la plupart des régions habitées, et une augmentation de la fréquence et de l’intensité des épisodes de pluies abondantes et de sécheresses dans plusieurs régions.

Les simulations des modèles de climat montrent des différences marquées dans les impacts et les risques connexes entre les hausses de 1,5 °C et de 2 °C. Si nous évitons une hausse de 2 °C et restons en dessous de la limite de 1,5 °C, nous verrons vraisemblablement un large éventail d’avantages, dont les suivants :

  • Une réduction des risques liés aux sécheresses et aux pluies abondantes;
  • Une hausse du niveau moyen de la mer réduite de 10 cm d’ici 2100, et jusqu’à 10 millions de personnes en moins exposées aux risques liés à l’élévation du niveau de la mer;
  • Des impacts moindres sur la biodiversité et les écosystèmes, y compris la réduction et l’extinction d’espèces;
  • Une réduction de l’augmentation de la température et de l’acidité de l’océan ainsi que de la baisse du niveau d’oxygène marin, ce qui amoindrit les risques menaçant la biodiversité, les pêcheries et les écosystèmes marins et leurs services aux humains;
  • Une probabilité considérablement réduite de trouver l’océan Arctique libre de glace de mer estivale;
  • Une probabilité accrue de sauver certains récifs coralliens;
  • Une réduction des risques de mortalité liés à la chaleur et à l’ozone;
  • Des réductions nettes moindres du rendement du maïs, du riz, du blé et éventuellement d’autres céréales, ainsi que de la qualité nutritionnelle du riz et du blé;
  • Jusqu’à 50 % de personnes dans le monde qui ne seraient pas exposées à une augmentation du stress hydrique émanant des changements climatiques.

Que faire pour rester en deçà de la limite de réchauffement planétaire de 1,5 °C?

Pour limiter le réchauffement climatique, il faut respecter un budget d’émission de carbone. Le taux d’émission mondial actuel de dioxyde de carbone (CO2) s’élève à environ 40 milliards de tonnes métriques par an (plus précisément, 42 Gt de CO2 par an). Le rapport estime qu’à ce rythme nous n’avons plus que 10 à 15 années d’émission avant de fracasser ce budget. Afin d’éviter de dépasser la limite de 1,5 °C, les émissions nettes de CO2 devront diminuer de moitié d’ici 2030, et atteindre zéro (avec prise en compte de l’absorption d’origine anthropique de CO2) vers 2050. Les émissions de méthane et de carbone noir doivent aussi diminuer.

L’atteinte de ces objectifs, ou « atténuation », nécessite des transitions rapides et étendues relativement aux systèmes énergétiques, à l’utilisation des sols, à l’urbanisme, aux infrastructures (y compris les transports et les bâtiments) et aux industries. L’ampleur de ces transitions est sans précédent et implique de fortes réductions d’émissions dans tous les secteurs. Cette approche ouvrira un large éventail d’options quant à la façon d’investir dans différentes mesures d’atténuation.

Le rapport soutient que pour rester sous la limite de 1,5 °C, il faut, en plus des réductions d’émissions, éliminer de l’atmosphère le dioxyde de carbone, et ce, par des mesures d’origine humaine, comme le boisement. L’élimination à grande échelle du dioxyde de carbone reste très difficile et potentiellement non viable. Mais il faudra y recourir de plus en plus si les réductions d’émission accusent un retard.

Les avantages de limiter le réchauffement à 1,5 °C et le développement durable

Limiter le réchauffement à 1,5 °C profite au développement durable et à l’éradication de la pauvreté, par exemple en favorisant la production alimentaire, la disponibilité d’eau propre et la santé des humains. Limiter le réchauffement à 1,5 °C profitera au développement durable et à l’éradication de la pauvreté, si les mesures d’adaptation et d’atténuation sont judicieusement choisies. Par exemple, la production à grande échelle de biomasse agroalimentaire visant à atténuer le réchauffement climatique pourrait accaparer les terres nécessaires à la production d’aliments, cette concurrence menacerait potentiellement la sécurité alimentaire.

La situation au Canada et le point de vue de la SCMO

L’incidence mondiale des changements climatiques se manifestera différemment d’une région à l’autre. Au Canada, les impacts sont déterminés par notre emplacement dans les latitudes nordiques modérées à hautes et nos longues côtes qui touchent les océans Atlantique, Arctique et Pacifique. Le réchauffement est amplifié dans les hautes latitudes du Nord, certaines régions du Canada connaissent donc un réchauffement deux fois plus important que celui observé à l’échelle mondiale. Il s’accompagne aussi de nombreux impacts détectables sur les écosystèmes et les systèmes humains. Comme d’autres pays, le Canada profiterait considérablement d’un réchauffement limité à 1,5 °C. Si nous écartons la limite de 2 °C pour rester sous 1,5 °C, nous pourrions tirer parti d’un large éventail d’avantages, notamment des canicules moins nombreuses et moins intenses, moins d’épisodes de pluies abondantes, moins d’incendies de forêt, une hausse réduite du niveau de la mer, et une probabilité moindre de voir l’océan Arctique libre de glace estivale. Ce qui entraînerait une diminution des risques connexes pour les communautés et les écosystèmes arctiques, une réduction du risque de dégradation causée par l’évolution du climat, une perte réduite de la toundra et des forêts boréales des hautes latitudes, ainsi qu’une réduction de l’étendue du pergélisol soumise au dégel.

Le rapport laisse entendre que les cibles de réduction des émissions du Canada ne suffiront pas pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Celles-ci devront être renforcées si le Canada souhaite participer équitablement à la réduction des émissions mondiales de carbone.

De l’avis de la SCMO, il importe pour le Canada, en tant que nation engagée à l’échelle internationale, d’être pleinement conscient des enjeux au-delà de nos frontières, et de prendre des mesures pour réduire les émissions de carbone, afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C et ainsi éviter les risques associés à la limite de 2 °C. En tant qu’organisation professionnelle, la SCMO doit appliquer ces principes à son propre fonctionnement, un sujet sur lequel nous nous pencherons au cours de la prochaine année.

La SCMO appuie fermement ce rapport spécial du GIEC et reconnaît et apprécie le temps qu’ont investi les chercheurs canadiens qui se sont appuyés sur leur expertise pour en diriger la rédaction. Le rapport constitue un apport scientifique essentiel aux stratégies relatives au climat, et ce, au niveau international le plus élevé.


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